Les enjeux sociétaux et environnementaux confrontent les individus à un sentiment d’impuissance. Pour ne pas rester dans une phase d’éco anxiété et aller au-delà, vers un passage à l’action, il est nécessaire de renforcer sa force intérieure et son impact personnel, deux mondes qui se nourrissent mutuellement.
Tout comme le fait d’avoir une vision claire de ses objectifs apporte une direction, avoir une vision claire des valeurs qui guident ses actions permet de prendre des décisions alignées. Un alignement qui apporte une posture cohérente et maximise l’impact personnel.
Le système de valeurs est propre à chacun et ce sont les compromis entre ces dernières que chacun est sans cesse amené à devoir faire qui guident les actions. Alors, dans le contexte actuel, quelles valeurs sont à prioriser ?
Un contact sensible avec son environnement
L’objectif de la vie sur Terre est la perpétuation de la vie elle-même. Pour cela, la stratégie choisie est une dynamique d’évolution en perpétuel mouvement : les espèces s’adaptent constamment à un environnement qui change sans arrêt. L’Être humain fait partie intégrante de cette nature vivante. Il contient en lui toute cette vitalité.
L’individu interagit sans arrêt avec son environnement et vice versa. Un mouvement d’adaptation se crée, dans lequel l’individu fait appel à sa sensibilité.
Définition de la sensibilité (Larousse) :
- Aptitude d’un organisme à réagir à des excitations externes ou internes ;
- Aptitude à s’émouvoir, à éprouver des sentiments d’humanité, de compassion, de tendresse pour autrui.
Dans ces boucles d’adaptation, certaines caractéristiques de l’environnement vont favoriser le développement du potentiel de l’individu. D’autres, au contraire, vont favoriser une rigidité, qui bloquera plus ou moins sa vitalité.
L’environnement dans lequel évolue l’individu peut être plus ou moins bienveillant, peuplé, urbain. De nombreuses études, en psychologie et en développement chez l’enfant, ont mis en évidence différentes caractéristiques pour aider un individu à atteindre son plein épanouissement.
Exemple d’une interaction avec son environnement, ici entre Pierre et son fils :
De retour de l’école, le fils de Pierre passe devant lui sans un mot. Pierre remarque la posture et le ton grave du visage de ce dernier. Il décide d’y porter son attention. Il fait un « retour sur soi », va chercher dans ses souvenirs, tente de répondre à ses interrogations, avec plus ou moins d’empathie, de sensibilité. C’est seulement après cette phase d’introspection, qu’il prendra une décision : agir ou non, quelle posture adopter …
Parmi ces études, un phénomène a été mis en évidence par Edward O. Wilson : la biophilie. Il démontre que l’être humain a un amour fondamental pour la nature, qui lui permet de se régénérer. A contrario, un environnement trop artificiel provoque du stress chez l’individu.
Sébastien Bohler explique, dans son livre « Où est le sens ? » :
« Le cortex cingulaire des citadins est plus actif que celui des ruraux, et surstimule une autre zone du cerveau qui met en branle les mécanismes physiologiques de l’angoisse et du stress, l’amygdale. Cette activation constante du cortex cingulaire finit par rendre certains fous au sens propre, favorisant les troubles profonds comme la schizophrénie, dont les taux sont deux fois plus élevés dans les mégapoles qu’en milieu rural. Or des travaux récents montrent que le contact avec la nature inverse ce phénomène, et qu’il suffit par exemple d’une promenade d’une heure et demie en forêt pour apaiser l’activité du segment le plus antérieur du cortex cingulaire périgénual – et diminuer la charge de stress. Plus l’accès à la nature est facilité, plus de tels effets tranquillisants et rassérénants se cumulent. Retrouver la connexion avec notre milieu d’origine, celui dont l’humanité est issue depuis l’aube des temps, protège contre l’effet ultime de cette privation qui n’est autre que la dépression, le mur terminal dans l’impasse du vide de sens. Elle parle un langage cohérent à nos cellules, à nos nerfs et à nos os, à nos yeux et à notre cœur. Rétablir le lien avec elle est aujourd’hui une question cruciale. Il en va de la survie des équilibres vivants, mais aussi de notre équilibre psychique. »
Distance entre les individus et l'environnement naturel
Au fil du temps, l’écart entre un individu et un espace naturel s’accentue. La distance moyenne en France est de 16 km, tandis qu’au niveau mondial, elle est de 9,7 km. L’humain s’éloigne de la nature.
Anne-Caroline Prévot, chercheuse au CNRS au Centre d’écologie et des sciences de la conservation (CESCO) au Muséum national d’histoire naturelle, répond à la question :
« Pourquoi l’humain semble-t-il perdre le lien avec la nature ?
Les expériences de nature vécues pendant l’enfance permettent à chacun de créer sa référence et sa perception de la nature. À partir de cette référence qui constitue pour eux, le « bon » état écologique de leur environnement, les individus mesurent les évolutions de la nature au cours de leur vie d’adulte. Lorsqu’ils sont interpellés sur la nécessité de faire cesser la dégradation de la nature et le besoin de la restaurer, les individus se réfèrent à leur état de « bonne » nature.
De génération en génération, l’urbanisation et les dégradations de l’environnement augmentant, le niveau de référence de chaque nouvelle génération intègre ce niveau de nature en oubliant qu’il est dégradé par apport au niveau de la génération précédente. C’est l’amnésie environnementale générationnelle (Peter Kahn, 2002). Cette hypothèse de psychologie de l’environnement explique en partie pourquoi une société réagit peu, individuellement et collectivement aux dégradations de l’environnement. Le niveau de tolérance à la dégradation de la nature est induit par le fait que les individus perdent la mémoire de ce qu’étaient des écosystèmes moins impactés par les activités humaines.
La perte de lien avec la nature peut être causée par un contact insuffisant avec la nature. En ville, la distance limite l’accès quotidien aux espaces naturels. Mais à la campagne aussi, le mode de vie peut réduire les occasions d’être à l’extérieur – augmentation des trajets en voiture, souci de sécurité, temps de déplacement… C’est ce que le naturaliste Robert Pyle appelle l’extinction de l’expérience de nature (Pyle, 1993). »
Si l’objectif est effectivement le déploiement du potentiel humain, être au contact avec un environnement naturel soutient cet objectif. Pourtant, ce sont 4000m2 de sol qui sont perdus dans le monde à chaque seconde.
Changement d’environnement, les causes indirectes
Le déclin progressif des surfaces d’espaces naturels a plusieurs raisons, présentées sur ce schéma de l’IPBES. Les valeurs et comportements des individus sont à la base de ce changement d’environnement.
L’être humain est fondamentalement lié à l’environnement naturel. Sa conservation fait partie de ses valeurs profondes (Biophilie). Pourtant, son comportement destructeur reflète qu’il donne la priorité à des valeurs individualistes.
Le grand réseau d'influence dans cet environnement
L’environnement dans lequel vivent les individus s’est complexifié au fil du temps et de l’augmentation de la population. Il est compliqué pour un individu de se saisir intellectuellement des informations qui lui arrivent et de chercher à les re-situer dans leur contexte.
En effet, la société est un grand réseau interconnecté où chacun joue de son influence pour peser sur les décisions, de manière plus ou moins consciente.
Exemple : les populations vont influencer les médias qui recherchent une audience (source de revenus), et les médias vont influencer les populations en diffusant certains messages plutôt que d’autres. La politique va influencer les entreprises grâce aux réglementations et aux aides publiques, et le secteur économique va influencer les politiques, car, possédant les médias ils ont les moyens de favoriser tel ou tel candidat.
Pour les individus ce sont des choix de tous les jours entre corruption, chantage, égoïsme ou abnégation et intégrité. Un individu va préférer préserver les valeurs qui sont en lien avec son humanité profonde ou passer outre …
L’impact personnel
Une transformation est fondamentale devant le déclin de la biodiversité, et dans le processus de transformation, le changement de comportement est une phase indispensable, notamment dans la prise de responsabilité.
Exemple
Pierre travaille dans une entreprise qui produit des pièces mécaniques pour les camions. Pour dégraisser les pièces mécaniques, les ouvriers les plongent dans un bain qui contient des produits chimiques dégraissants. Ces bains sont régulièrement changés et vidés dans une cuve de récupération. Pourtant, depuis plusieurs semaines, la cuve est bouchée et donc inutilisable. En attendant son entretien, il a été demandé aux ouvriers d’utiliser le réseau d’eau fluvial.
Pierre assiste impuissant au vidage des bains directement dans les égouts. Cette situation le fait souffrir. Sa sensibilité écologique est touchée à vif. …
Pierre fait maintenant partie de ces millions de travailleurs qui ressentent un conflit entre leur travail et leurs valeurs. En effet : c’est le cas de 1 français sur 2 selon une étude de l’IFOP.
Cela crée une dissonance cognitive. Et dans une telle situation, il a été prouvé que les pensées ont tendance à s’adapter aux actes… ( Sébastien Bohler « Où est le sens ? » ). Le besoin de sécurité, de reconnaissance, d’un salaire, beaucoup de raisons peuvent pousser un individu à modifier son mode de pensée vers le déni, le climatoscepticisme, …
Chacun trouve une manière de continuer d’avancer. Le système de valeurs se modifie et ces personnes adoptent, à travers leur travail, un comportement destructeur.
… Pierre décide d’agir et insiste plusieurs fois pour faire réparer la cuve. L’information remonte et la réparation est faite plus rapidement.
Les modèles mentaux
Les enjeux actuels sont vitaux : le déclin de la biodiversité, la dispersion de substances toxiques dans l’environnement, le dérèglement climatique, etc. nous passons d’un environnement stable à un environnement instable, avec des canicules, des incendies, des inondations, la famine, etc.
Le modèle de la pensée systémique de l’iceberg nous aide à visualiser la source de ces problèmes. Un iceberg n’a que 10% de sa masse totale au-dessus de l’eau, tandis que 90% de celle-ci est sous l’eau. Pourtant, ce 90% est ce sur quoi agissent les courants océaniques et ce qui influence le comportement de l’iceberg à son extrémité.
De manière sous-jacente se trouvent les modèles mentaux : ce sont les attitudes, les croyances, la morale, les attentes et les valeurs qui permettent aux structures de continuer à fonctionner en l’état. Des croyances que nous apprenons souvent inconsciemment de notre société ou de notre famille, etc.
Exercice
Sélectionnez un événement, par exemple une inondation. Inscrivez cet événement au sommet de l’iceberg et descendez jusqu’aux systèmes sous-jacents et modèles mentaux.
Cela met en lumière les effets en cascade de nos choix et apporte une vision globale.
Il est aussi possible de faire le trajet inverse : partez d’une valeur, qui guidera des comportements et déterminez quels problèmes, ou quels bénéfices, en découle.
Backcasting à partir d'un futur souhaitable
Quels bénéfices voulons-nous voir se réaliser dans le monde ? Cette réponse est propre à chacun, pourtant une chose devrait faire consensus : maintenir la Terre habitable.
Selon les experts du GIEC : « Entre 3,3 et 3,6 milliards d’humains vivent dans un environnement très vulnérable. D’ici à 2050, de nombreuses mégapoles côtières et des petits États insulaires, exposés aux submersions, pourront connaître chaque année des catastrophes qui ne survenaient autrefois que tous les cent ans. Et d’ici à la fin du siècle, 75 % de la population mondiale pourrait être exposée à des vagues de chaleur mortelles, notamment dans les villes, contre 30 % aujourd’hui. Si l’humanité veut éviter le chaos climatique, il lui faut dès maintenant transformer en profondeur les modes de production et de consommation, dans tous les secteurs ».
Vers une conscience de groupe
Les enjeux actuels, demande à chacun d’agrandir sa vision vers une conscience de groupe. En réfléchissant sur ses valeurs personnelles, chacun peut changer ses priorités, et aligner ses actions et son comportement. Cela demande de se connecter à des valeurs profondes d’Humanité ce qui influera sur sa force intérieure et maximisera l’impact personnel.